Les jours de Têt à My Long

Mardi, 24 Février 2009 11:00 Administrateur
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          Le 5ème jour du Tết, avant 6 heures, la gare routière en direction de l’Ouest est déjà bien animée. Quelques dizaines d’années déjà que je n’ai pas pris le bus pour le delta du Mékong. Après tant d’années, la gare est toujours dans un état délabré, du ciment sur un sol aride et parsemé de nids-de-poules, comme au temps de mon enfance. Un ciel nuageux et des vents venus on ne sait d’où font frissonner les citadins dans leurs habits d’hiver. Tout le monde dit que le Tết cette année sort de l’ordinaire, qu’il fait si froid que les fleurs d’abricotier tardent à s’épanouir. Le bus part à l’heure, roule à bonne vitesse sur des routes encore désertes, passe devant des boutiques avec leurs bacs de chrysanthème jaune exposés sur le trottoir.  Ainsi, le Tết n’est pas terminé. Nous sommes quatre : Kim et Yannick Guillemois de AVNES et du COFACE (organisme ayant participé activement au programme de micro-crédits pour le village Lê Thuy à Quang Binh, et à celui de My Long aujourd’hui), moi, et Cúc, une amie de longue date et généreuse. Nous avons laissé derrière nous le bruit des tambours et gongs accompagnant les danses du dragon partout dans la ville ces derniers jours. Je me demande soudain comment sera l’ambiance au village de My Long à Cao Lanh qui va nous accueillir.

          Bientôt les nuages disparaissent, cédant la place aux rayons de soleil qui envahissent habitations et végétation des deux côtés de la route. De temps à autre on aperçoit des banderoles accueillant la nouvelle année Ky Suu. A côté de moi, Kim n’a aucun signe de fatigue bien qu’elle et Yannick ne soient revenus en ville que la veille, après un grand voyage. Je crois sans trop me tromper qu’ils sont vraiment motivés par la prochaine distribution de crédits accordés par l’association AVNES au village My Long, oubliant aínsi le parcours fatiguant allant de Saigon à l’arrêt-bus Xeo Quyt de la commune Cao Lanh appartenant à la province de Đong Thap. J’ai su après que Xeo Quyt est un endroit proche de My Long, dont la beauté et l’harmonie environnementales ont permis d’être un site touristique offrant la douceur de la campagne.

          9h30, nous sommes à l’heure pour notre rencontre avec les représentants de la mairie et de l’Association des Femmes de My Long. La ‘‘distribution des crédits’’ commence dans la salle de réunion de la mairie, avec les présentations des personnes et la signature du projet de micro-crédits entre Mme Pham Thi Thu Ha, présidente de l’Association des Femmes de My Long, et moi-même, secrétaire de AVNES.

Signature du contrat de microcrédit
Signature du projet de microcrédits
 Participantes au projet de micro_crédits
Participantes au programme de microcrédits
          Juste après, nous passons à l’auditorium pour rencontrer les familles qui participent au programme. 19 des 20 femmes bénéficiaires des prêts,  âgées de 22 à 55 ans, venant de quatre zones d’exploitation agricole du village, sont déjà présentes. A cette heure-là leurs maris et fils doivent être pour la plupart aux champs ou autres travaux, même avant la fin du Têt. Au nom du Comité exécutif de AVNES, je leur ai présenté brièvement les buts de l’association et le fonctionnement des crédits.

         La présidente de l’Association des Femmes a invité chacune des bénéficiaires à venir prendre sa part et signer le contrat. J’ai fourni à chacune un mode d’emploi concret à consulter quand c’est nécessaire.

          Après les remerciements de la représentante des familles, on prépare les vélomoteurs pour nous emmener visiter les foyers et voir les activités de quelques familles inscrites au programme des crédits. C’est la partie la plus intéressante du déplacement. Nous sommes enchantés de monter sur les sièges arrière des vélomoteurs. Un groupe de 6 ou 7 vélos se  suivent dans le dédale des routes du village. Je  dis en plaisantant à mes amis : « c’est çà une vraie mission sur le terrain » avec tout son sens. Les chemins champêtres sont encore secs avant la saison des pluies, mais gondolés et étroits, certaines portions ont à peine un mètre de largeur, bordées de canaux, ou de rivières, ou de champs à plus basse altitude, ou de terrains vagues. De temps à autre, je cherche des yeux le couple Guillemois, craignant qu’il ne soit pas habitué à ces moyens de locomotion et en soit effrayé. Les deux sont chargés en plus de sacs contenant des habits chauds et des confiseries qu’ils distribueront aux enfants du village, pendant que Cuc les comblera de petites enveloppes rouges d’argent liquide. Mais les conducteurs des vélos n’ont que faire des précautions, ils foncent comme sur de la bitume.

           La zone d’exploitation n°1 a, dès l’entrée, des habitations relativement présentables, avec leurs pamplemoussiers et longaniers bien fournis. Les autres zones d’exploitation, la n°4 par exemple, sont manifestement plus pauvres, même si l’on rencontre parfois des abricotiers vantant la beauté du printemps. Rares sont les quelques parcelles de rizières entrevues, pour offrir à ma vue une image de suffisance alimentaire.

          La 1ère maison que nous visitons à la zone d’exploitation n°1 est celle de la famille de madame My Dung. Elle a demandé un prêt pour l’élevage des cochons, la porcherie est déjà là mais le couple n’a pas jusqu’à maintenant les moyens pour acheter les animaux. Madame My Dung espère devenir autonome à terme, à partir du modeste capital emprunté.    

Une bénéficiaire du microcrédit
Une bénéficiaire du microcrédit
Les membres de COFACE & AVNES chez Mme My Dung
Les membres de COFACE & AVNES chez Mme My Dung
          Madame Ngoc Huê à la zone d’exploitation n°2 a aussi la porcherie prête. A l’approche du Têt, elle a eu une opportunité pour acheter à bas prix  4 cochons reproducteurs et, confiante pour l’obtention d’un prêt de l’AVNES, elle a emprunté à des amis pour anticiper. L’appareil photo de Yannick n’arrête pas de prendre les 4 charmantes petites truies bien roses. Le prix d’un cochon reproducteur est de 1 million deux cent mille dongs, la truie étant plus chère. Après 4 ou 5 mois d’élevage, il peut monter à plus de 3 millions.

          Madame Thu Ha, présidente de l’Association des Femmes, nous dit que les gens d’ici sont assez connaisseurs et bien conseillés par l’association dans l’élevage des cochons. C’est pourquoi, lors de ces premiers prêts AVNES, ils veulent choisir cette activité par sécurité. S’il n’y a pas de catastrophes naturelles ou de pandémies, on peut être assuré des remboursements et de l’amélioration de l’économie familiale. Progressivement, quand la crédibilité sera acquise, ces gens penseront à d’autres métiers pour diversifier.

          La zone d’exploitation n°4 nous emmène vraiment au fin fond de la misère et du dénuement. Le visage de la nature ainsi que celui de l’homme ici me remplissent de tristesse. Les mêmes rivières, les mêmes canaux, les mêmes haies d’arbres sous un ciel pur, mais cet espace semble s’assècher sur les visages humains, comme s’il les marque de tout son poids et de son usure. Des traits que j’ai déjà vus chez les femmes aidées au village Lê Thuy de la province de Quang Binh, il y a quelques années.

          Après la visite des 5 foyers aux zones n° 1, 2 et 4, nos hôtes veulent nous faire voir, juste pour en prendre la mesure, la situation critique d’une famille à la zone n°4. La femme de cette famille ne fait pas partie du programme micro-credit de cette fois-ci, mais a le besoin urgent d’un toit. Elle est évidemment très pauvre, le mari souffre d’une maladie mentale, et ils n’ont même pas un logis pour s’abriter des intempéries. Un proche leur a offert une parcelle de terrain, et les voisins donneront un coup de main, mais où trouver l’argent pour bâtir une maison, même sans plancher, avec un toit en tôle et des feuillages comme murs ?  Les Guillemois et mon amie leur laissent quelques dons. Elle presse son mari de remercier, il répète ce qu’elle dit mais le regard est fixé ailleurs. Vers les deux poussins qui s’agitent plus loin, ou vers la feuille de palmier cassée qui pend encore à l’arbre ? Ou vers nulle part ?

          Nous avons dit à madame Thu Ha  que nous exposerons ce cas au comité exécutif de AVNES. Nous espérons, nous espérons toujours, pouvoir faire quelquechose. On remonte dans les vélomoteurs pour rentrer. Le soleil en milieu de journée est fort, mais parfois la végétation devient dense, et on entend le bruissement du vent. La tourterelle n’arrête pas son cri et des masses de bambou semblent se frotter les unes aux autres. Si nous n’avions pas en nous les récentes images, nous nous laisserions emportés par ce paysage authentique de la campagne. Yannick a la même remarque que Kim : Il faut être sur place pour être vraiment conscient qu’il reste tant de choses à faire, à faire absolument.

          Heureusement, non loin de la sortie du village, on s’arrête pour visiter le temple de My Long. Un temple de campagne avec ses couleurs populaires  plein de joies, et ses bacs de bonzaï fêtant le nouveau printemps. Une halte qui a un peu apaisé nos cœurs avant de se quitter.

Un pont aux singes à My Long
Un pont aux singes à My Long
Les représenants d'AVNES et Mme Thu Ha
Les représentants d'AVNES et Mme Thu Ha

Mai Ninh
Février 2009

Traduction de Vu Hoi Nguyen
Titre original : "Mỹ Long mùa Tết"

 

Mise à jour le Jeudi, 26 Février 2009 19:52